< PreviousHISTOIREL’exploitation précoce de la ChineLe gaz naturel amorce une percée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et ce même s’il est exploité par les Chinois depuis des temps très anciens.Selon un article de Robert Temple paru dans le courrier de l’Unesco en octobre 1988, les Chinois auraient commencé à utiliser du gaz natu-rel comme combustible et source d’éclairage au 4e siècle avant J.-C. Au 1er siècle avant J.-C., il indique que le forage systématique de puits pour l’extraction de la saumure mène à la découverte de beaucoup de « puits à feu » au Sichuan, qui produisaient du gaz naturel. La saumure et le gaz naturel étaient conduits ensemble par des tubes de bambous. Depuis les petits puits, le gaz pouvait être acheminé directement aux brûleurs, où la saumure était versée dans des cuves d’évaporation en fonte pour bouillir et produire du sel. Toutefois, le gaz dense et âcre puisé à des profondeurs d’environ 600 m devait tout d’abord être mélangé à l’air, de crainte qu’une explosion ne se produise. 11L’arrivée du gaz naturelAu milieu du 20e siècle, le gaz peine à rester compétitif face à l’électricité, notamment pour les usages ménagers. Le slogan des électriciens fait fureur : « La femme suisse cuit à l’électricité. » Dans les années 1960, l’abandon de la production de gaz de ville est en-visagée. Le coke perd du terrain face au mazout, dont l’utilisation est plus pratique pour le chauffage. Les gaziers sont confrontés au problème de la toxicité du gaz manufacturé. En Italie et en France, les gaziers se tournent vers le craquage des hydrocarbures alors que cette énergie connaît un essor rapide aux Etats-Unis.À la fin des années 50, le gaz naturel représente le quart de toute l’énergie consommée aux Etats-Unis, après les huiles et le charbon, mais devant l’élec-tricité. S’étant affranchi des obstacles techniques relatifs au transport de longue distance, le gaz naturel se dé-veloppe et s’étend alors sur des tron-çons pouvant atteindre 4’000 km de longueur pour couvrir la quasi-totalité du territoire des USA. En Russie, le gaz naturel est connu depuis 1948, grâce aux premiers gise-ments de Saratov. En 1958, en Europe occidentale, les réserves sont estimées à 450 milliards de , dont 250 milliards pour la France et 150 pour l’Italie. Les forages se multiplient également en Europe orientale : Autriche, Yougosla-vie, Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie et Roumanie. Eric Giorgis le confirme dans le livre sorti à l’occasion de sa retraite : « Il est temps que nous son-dions les possibilités nationales dans ce domaine. Sans être trop optimistes, nous disposerons bientôt de gaz natu-rel soit en provenance directe de notre sous-sol, soit par l’importation de pays voisins. »L’évolution très rapide du gaz naturel incite les principales usines romandes à procéder, dès 1958, à des échanges de vue. Elles arrivent à la conclusion qu’il est nécessaire de constituer sans tarder un consortium d’étude (à majo-rité gazière) en prévision de l’arrivée en Suisse de cette nouvelle énergie. Les gaziers romands créent alors, le 12 juin 1959 à Genève, la Société des Gaziers de la Suisse romande, dont le siège est basé à Lausanne. Quelque 17 entreprises gazières romandes en font partie. L’arrivée du gaz naturel en Suisse ne saurait tarder, d’autant plus que de nouveaux gisements sont dé-couverts en Hollande, en Grande-Bre-tagne ainsi que dans le Sahara : « Il convient de s’y préparer car, le mo-ment venu, il faudra faire vite. » pro-met Eric Giorgis. Le 12 mars 1968 : une date-cléLa Société des Gaziers romands n’est qu’une association de personnes ; elle ne peut donc conclure des contrats d’achat de gaz. Il convient dès lors de créer une société anonyme, qui verra le jour le 12 mars 1968. Sept entreprises gazières en font partie : les Services industriels de Genève, la Commune de Lausanne, la Commune de Neuchâtel, Gazoduc SA à Sion, la Compagnie Industrielle et Commerciale du Gaz à Vevey, Igesa au Locle et l’Asso-ciation des Usines à Gaz suisses, dont le siège est à Zurich. C’est le notaire Me François Delisle qui officie. Le capi-tal-actions est fixé à 200’000 francs. Les buts de Gaznat sont l’étude, la construction et l’exploitation des ré-seaux nécessaires au transport du gaz naturel en Suisse romande, ainsi que l’obtention de toutes concessions ou autorisations fédérales et cantonales attenantes. La société, basée à Vevey, est également responsable de tous les contrats d’achat de gaz naturel en gros ou à long terme, importé ou en provenance de Suisse. Elle traite également de la vente en gros de ce gaz aux actionnaires et autres acheteurs intéressés, de même que la reprise, la construction et l’exploitation d’ins-tallations de production ou de traite-ment de gaz. Elle s’interdit toutefois de vendre du gaz dans les régions déjà desservies par une usine productrice ou un service de distribution sans l’ac-cord de ces derniers.« IL CONVIENT DE S’Y PRÉPARER CAR, LE MOMENT VENU, IL FAUDRA FAIRE VITE. » ERIC GIORGISJUSQU’EN 1974GAZNAT SASociété pour l’Approvisionnement et leTransport du Gaz Naturel en Suisse RomandeContrat de fondation de Gaznat12 mars 196813Le premier Président de Gaznat SA est Eric Giorgis. Le Genevois Georges de Goumœns est alors Vice-président. Les autres administrateurs sont Jean-Pierre Chopard (Vevey), Edmond Delley (Fribourg), Philippe Freudweiler (Neuchâtel), Jean-Pierre Lauper (Zurich), Marc-Henri Morattel (Lausanne), Jean-Charles Pesson (Genève) et Eric Stucky (La Chaux-de-Fonds) avec Philippe Ravussin (Lausanne) en tant que Secrétaire et Etienne Duval (Sion) en tant que Trésorier. Dans un premier temps, Gaznat n’em-ploie pas de personnel. Le travail des commissions technique, économique et juridique n’est pas rétribué. Chaque entreprise participante assume ses propres frais tant qu’il n’est pas fait appel à des bureaux spécialisés. Il s’agit d’être prêts dès qu’il sera pos-sible d’acheter du gaz naturel. L’enjeu est également de connaître les besoins des futurs consommateurs. En 1969, une étude de marché est réalisée de manière à déterminer les travaux né-cessaires pour construire les futurs ga-zoducs, ainsi que les quantités de gaz entrant en ligne de compte. L’enquête aboutit à un potentiel de consomma-tion total pour la Suisse romande de 500 millions de m3 par an, dont 75% par substitution de l’huile lourde. Le tracé idéal d’un futur gazoduc irait vraisemblablement de Genève à Sion avec des branches latérales en direc-tion de Neuchâtel et de la Broye.Dès 1969, le Comité de direction de Gaznat suit attentivement le marché du gaz naturel, qui vend à des prix aux tendances baissières. Une délé-gation gazière suisse se rend en Ara-bie saoudite sur l’invitation du Cheik Yamani, Ministre du pétrole allant connaître son heure de gloire en 1973, lors de la grande crise pétrolière. Il s’agit de commercialiser en Europe les immenses quantités de gaz naturel brûlées inutilement par les torchères. Cependant, Riyad pose ses conditions: le rachat d’une raffinerie en Europe, ce qui est impensable à cette époque.Parallèlement, la Suisse poursuit ses négociations avec les gouvernements libyen et algérien. La France et l’Algérie étudient la possibilité d’acheminer en Europe le gaz du Sahara au moyen d’un gazoduc passant sous la Méditerranée. Les risques techniques et les frais s’avèrent toutefois très importants. On songe déjà à construire des ba-200’000400’000600’0001910197019201930194019501960Contexte d’avant 1968Consommation finale d’énergie en Suisse depuis 1910ElectricitéCarburantComb. pétroliersCharbonGaz de ville(TJ)15Un gazoduc dans les Alpes suissesEn juillet 1970, Eric Giorgis apprend dans un article du journal « Le Monde » qu’ENI (Office italien des hydrocar-bures) s’apprête à conclure un contrat pour l’achat et le transport, via la France, de gaz hollandais provenant du champ gazier de Groningue. Pas le temps de tergiverser : « Il faut que ce futur gazoduc de transit entre les Pays-Bas et l’Italie passe par la Suisse ! » Des négociations sont engagées avec les Italiens. Plusieurs options sont possibles, Gaznat se rallie au tracé via les Alpes et pense que l’achat du teaux méthaniers capables de trans-porter le gaz sous forme liquide jusque dans les ports européens, puis dans les gazoducs jusqu’aux points de consom-mation.« IL FAUT QUE CE FUTUR GAZODUC DE TRANSIT ENTRE LES PAYS-BAS ET L’ITALIE PASSE PAR LA SUISSE ! » ERIC GIORGISgaz naturel doit se faire par une so-ciété nationale suisse. Alémaniques et Romands convoitent alors le marché du gaz. En effet, un groupement d’in-dustriels bâlois milite en faveur d’un tracé via Bâle, à la sortie du gazoduc de transit européen à Rheinfelden et le col de Gries, entre la Suisse et l’Italie. Le conseiller fédéral Roger Bonvin est consulté et demande de ne pas mettre en péril le passage du gazoduc par la Suisse. Le Valaisan attache une grande importance à la diversification des énergies : « Berne ne voit pas d’un bon œil que notre approvisionnement en énergie dépende de plus en plus des produits pétroliers en provenance d’autres continents. Par sécurité, il est indispensable de recourir à autant de sources d’énergies que possible, de provenances diverses et achemi-nées vers la Suisse par des voies et des moyens de transport divers. Or, la seule possibilité de diversification importante réside dans l’énergie nu-cléaire et le gaz naturel, qui provoque le moins de nuisances au milieu am-biant, à l’homme, aux animaux et aux végétaux… »Finalement, un contrat-cadre est signé à Berne le 24 février 1971. Il prévoit le transit de 6 milliards de m3 par an avec un prélèvement pour la Suisse de 500 millions de m3 par an durant 20 ans à partir de décembre 1973. Pa-rallèlement, la signature de ce contrat conduit à la fondation des sociétés Swissgas et Transitgas (voir ci-après) et permet à la Suisse de faire ainsi son entrée dans l’Europe du gaz naturel. Le prix d’achat du gaz hollandais est une aubaine pour la Suisse : il est le même pour une « petite » quantité de 500 millions de m3 par an que pour les prix de gros appliqués aux exporta-tions vers l’Europe (env. 30 milliards de m3). Swissgas et Transitgas ne poursuivant aucun but lucratif, Gaznat achètera son gaz au prix coûtant de Swissgas. Les bénéficiaires sont aussi bien les gaziers que les industriels, qui par-ticipent au capital de Gaznat à 60% et 40% respectivement. De grandes entreprises, dont les besoins en gaz naturel sont importants, entrent alors au capital-action, le faisant pas-ser de 200’000 francs à 13,5 millions. On y trouve aussi bien des produc-teurs d’aluminium comme Alusuisse, des entreprises de la chimie comme Ciba-Geigy et Lonza, des sociétés de Swissgas et Transitgas ne poursuivant aucun but lucratif, Gaznat achètera son gaz au prix coûtant de Swissgas. Les bénéficiaires sont aussi bien les gaziers que les industriels, qui participent au capital de Gaznat à 60% et 40% respectivement.production alimentaire comme Nestlé et des cimentiers comme la Société des chaux et ciments de Suisse romande ou Portland à St-Maurice. La possibilité est donnée à Gaznat de prendre du gaz tout au long de la conduite traversant le Valais.LA SIGNATURE DE CE CONTRAT D’APPROVISIONNEMENT CONDUIT À LA FONDATION DES SOCIÉTÉS SWISSGAS ET TRANSITGAS ET PERMET À LA SUISSE DE FAIRE AINSI SON ENTRÉE DANS L’EUROPE DU GAZ NATUREL.17HISTOIRECréation de Swissgas et de TransitgasAfin d’assurer l’approvisionnement du gaz naturel, différentes sociétés régionales sont créées. En plus de Gaznat, qui se doit d’assurer la couverture de la Suisse occidentale, les autres sociétés régionales suisses sont alors GVO et GVM. • GVO (Gasverbund Ostschweiz), devenue ultérieurement EGO (Erdgas Ostschweiz) couvre la Suisse Orientale avec comme centre principal de consomma-tion Zurich et sa région. • GVM (Gasverbund Mittelland) couvre principalement la région de Bâle, le Plateau suisse et la région de Berne. Comme Gaznat, ces entités sont des sociétés de partenaires, qui regroupent essentiellement des collectivités publiques des régions qu’elles approvisionnent. Afin de regrouper leurs intérêts pour faciliter l’approvisionnement en gaz naturel, les trois sociétés régionales (Gaznat, GVM et GVO et l’Association des Usines à Gaz Suisses (AUGS) décident de fonder le 7 avril 1971 la société Swissgas.Deux mois plus tard, le 25 juin 1971, Transitgas SA est créée afin definancer et de réaliser le gazoducde transit à travers la Suisse. Son capital est détenu à raison de 51% par des capitaux suisses et 49% par des capitaux italiens. Gazoducs en exploitationEn construction ou projetésProjet de gazoduc Hollande-Suisse-Italie GroningenLe HavreBruxellesParisMannheimBaselGenèveMarseilleBarcelonaTriesteWienMilanoLyonMünchenRoma19Le premier gazoduc sous-lacustrePour l’approvisionnement de l’arc léma-nique, deux tracés sont possibles : par voie terrestre ou lacustre. La voie ter-restre est rendue compliquée par la région escarpée de Chillon, alors que la voie lacustre nécessite la pose d’un ga-zoduc dans le Léman, à une profondeur de 312 m. C’est une première mondiale. Finalement, c’est un consortium for-mé de la SGI (Société générale pour l’industrie) à Genève et d’Elektrowatt (EWI) à Zurich qui est choisi pour conduire les travaux. Un travail de Titan qui ne sera pas une mince affaire. Source de nombreux conflits et pro-cès qui marqueront la fin des travaux, cette entreprise sera une véritable aventure industrielle et technique.nouvelle permettant ainsi au pays de réduire sa dépendance à l’égard du pétrole ainsi que sa pollution environ-nementale. Finalement, Berne débou-tera les opposants et la première im-mersion dans le lac pourra avoir lieu le 18 septembre 1973 et ce malgré quatre mois de retard au départ du chantier. Par bonheur, l’hiver est relativement clément. Une seule fois, la barge se retrouve au matin recouverte d’une carapace de glace, au grand dam des ouvriers marocains qui vivent à bord ! Des tronçons de 1’000 m de tubes sont soudés au Bouveret pour être immer-gés dans le Léman. La pose au fond du lac par 312 m de profondeur a longtemps figuré dans le Guinness Book comme record mon-dial jusqu’à la construction, beaucoup plus tard, du gazoduc entre la Sicile et la Libye, pratiquement au triple de la profondeur atteinte dans le Léman.Devisés à 90 millions de francs, les travaux vont nécessiter la pose de 65,8 km de tubes terrestres – d’Aigle aux Grangettes et de Tolochenaz à Orbe, ainsi que la traversée de Genève – et 99 km de tubes lacustres entre Villeneuve et Genève. C’est l’entreprise française Quille-Bouygues qui se charge des travaux lacustres et Zschokke des travaux à terre. Les tubes en acier sont soudés et isolés au large, sur une barge, avant d’être immergés dans le Léman.En 1973, une campagne de presse dé-bute contre l’immersion du gazoduc. Ce sont notamment les milieux de la pêche et de la protection de la nature qui font recours contre la concession accordée par l’Office fédéral de l’éner-gie. Une opposition paradoxale de la part de ces milieux dans la mesure où Gaznat, conformément aux vœux du Conseil fédéral, apporte une énergie LA POSE D’UN GAZODUC SOUSLE LÉMAN, À UNE PROFONDEUR DE 312 M, EST UNE PREMIÈRE MONDIALE !JUSQU’EN 1974Bateau de Liaison du gazoduc sous-lacustreInstrument de mesure servant à la pose du gazoduc sous-lacustreNext >